Bill Perry

En même temps, il lui paraît évident que l’anglais l’empêche de s’adresser à ceux qu’il veut atteindre. Il décide donc de briser un tabou et commence par écrire en français des gospels plus ou moins improvisés, des blues, et progressivement il trouve les mots, et la voix pour les exprimer. « Je crois que vous m’avez compris », l’une de ses premières chansons écrites en français est très aboutie. L’écriture est sombre mais très sûre. Bill ne parle pas seulement de ses expériences personnelles, mais inclut toutes les dimensions que 15 ans de vie ont fait germer.

Pour les deux premiers albums, Jean-Jacques Milteau est de la partie. Bill rencontre aussi le guitariste Mauro Serri à cette époque. En trente ans de collaboration, ils ne se quitteront que pour un court moment.

« Plus la peine de frimer », en 1980, est son second album et l’accueil des médias est très favorable. Il y parle du révérend Gary Davis et plusieurs titres font mouche : « Un dernier blues », « Faut que j’me tire ailleurs » Johnny Hallyday veut travailler avec lui, mais Bill fuit. Trop de monde, trop lourd, ce n’est pas son histoire. Quelques télés et émissions de radio en commun plus loin, Johnny enregistrera « Laisse-moi une chance », un blues lent déjà paru sur un album.

« Qu’est-ce que tu vas faire ? » est son troisième album avec « Laisse-moi une chance », et surtout « Babylone tu déconnes ? ». Le joueur de yoyo (yoyoyo !) dont il parle dans la chanson, Bill l’a bien connu dans les années 70. Le titre devient un énorme tube Ah bon ! !

Mais le succès a un prix. 120 concerts par an, 15 jours d’affilée à l’Olympia, les kilomètres qui défilent, ça veut dire aussi plus le temps de respirer, plus le temps de vivre, malgré une pause dans un camp de réfugiés en Amérique centrale.

Les titres dont sont remplis ces albums ne sont hélas pas travaillés dans la durée. Bill est entré dans une spirale infernale : un album, un tube ! Et il faut déjà passer au prochain album et au prochain tube. Toujours plus vite : « La seule chose qui pollue jusqu’aux nues c’est la loi du système ». En même temps, il y participe, et sans réels conseils, sa fragilité ne lui laisse que peu de défenses. Là est la source des difficultés : il faut « Produire ». Il y a un Maître du Son, un Maître de la Voix, mais le Temps est son propre Maître, et du Temps il n’en a plus.

Il faut composer et enregistrer à toute allure et il a le sentiment d’être nié en tant qu’artiste. Seule reste l’Hégémonie du système : « Le système t’aime mais le système tue ». Malgré tout, les albums se suivent. Les concerts également : l’Olympia, Le Casino de Paris, La Cigale, de nombreux festivals Sur scène Bill est toujours heureux.

Avec la bénédiction de Steve Cropper il enregistre, en 1988, la seule version autorisée de « Sittin’ on the dock of the bay » qui est largement diffusée par les radios. Puis en 91, il enregistre une partie de l’album « La Louisiane » à la Nouvelle Orleans avec Cyril Neville et sa rythmique. Mais Bill est maniaco-dépressif, et ce n’est que son amour démesuré de la musique qui lui permet de continuer à monter sur scène et à enregistrer. Il signe alors avec un label qui, une fois de plus, ne travaille pas sur le long terme mais sur le « tout de suite » dans une débauche de moyens. Une nouvelle fois la machine est lancée, impossible à maîtriser, et cela ne servira ni le label ni l’artiste. « Pour remonter à la surface souvent vaut mieux toucher le fond », car sur les trois labels qui suivront, deux déposeront le bilan et le dernier abandonnera toute promotion.

Bill décide alors de s’appuyer sur les rencontres importantes de sa vie pour « redevenir un artiste après avoir suivi des pistes trop balisées », et si « chaque matin, c’est comme une déchirure sans fin qu’il faut qu’il recouse », c’est avec tous ceux qui ont laissé une trace profonde dans son existence qu’il veut le faire.

En 2008 il sort un album « Bouge encore » avec ses inséparables musiciens : Mauro Serri, David Hadjadj, Stéphane Pijeat, et le dernier tombé du ciel : Denis Ollive. C’est son ami Zep qui assure le graphisme « BD ».

Bill a beaucoup évolué depuis les années 70 et ses débuts, il fallait « courir vite pour sauver celui qui a mal par amitié ». Mais maintenant dans les petites bulles d’humanité qui percent mystérieusement il existe quelque part des champs de rédemption (« Nous ne serons plus jamais seuls à chanter nos chansons ! Ils ont eu tout c’qu’ils veulent, ayons c’que nous voulons !).

C’est à ce moment, en 2004, qu’il rencontre le « Collectif Les Morts De La Rue ». Il se passionne pour « l’économico social » et devient rapidement un membre très actif du collectif. Il aime à rappeler avec quel cynisme béat « Le système étale sa libéralité, lui qui ne sert que le vieux dollar vert en excluant les inclus encombrants qui ralentissent le mouvement ». Et il sait de quoi il parle, lui qui a dû produire sous la pression économique, composer et écrire à un rythme contre-nature.

DISCOGRAPHIE