Mighty Mo Rodgers

Depuis trois décennies, le blues semblait avoir progressivement perdu toute valeur symbolique et le cri noir laissait place au hurlement des guitares électriques et du business. Mais au tournant du millénaire, à l’heure où le blues fêtait son centenaire, est arrivé un prophète chargé de remédier aux carences spirituelles du genre : Mo Rodgers, surnommé Mighty comme le Tout-Puissant. Paradoxalement, ce n’est pas de Chicago qu’est venue la Bonne Nouvelle mais de Los Angeles, Babylone moderne écartelée entre l’opulence insolente hollywoodienne et la misère tiers-mondiste chantée par les gangsta-rappers de South Central.

Après une enfance urbaine dans une banlieue ouvrière de Chicago, Mo fréquente le F&J Lounge avant d’achever la soirée chez Joe Green ou au Roadhouse. Dans ce haut-lieu du blues, la musique sert de décor à des parties de dés et de cartes clandestines qui se terminent parfois à coups de couteaux.

Le milieu des années 1960 est également celui de tous les questionnements, dans les ghettos comme sur les campus.

Grâce au sport, Mo obtient de l’université d’Indiana une bourse d’étude, passe une licence de philo, devient père de famille et enseigne dans les quartiers difficiles de L.A., mais à force de constater à quel point ses élèves renient leurs racines, la frustration monte : « Je voulais que les adeptes de hip-hop et tous les gamins qui ne connaissent rien du blues sachent que cette musique est aussi révolutionnaire et actuelle que le rap. J’ai emprunté 30 000 dollars à la banque et j’ai enregistré “Blues Is My Wailin’ Wall” (« Le blues est mon mur des lamentations »). Je voulais pousser le blues dans une nouvelle direction, lui rendre sa valeur symbolique ».

A travers cet album Mo révèle sa vision politique de la société américaine et retraçe le long périple du blues, depuis le temps du commerce triangulaire jusqu’à celui des lendemains qui ne cesseront jamais de déchanter. Avec son second album « Red White and Blues », Mo ne se contente pas de s’attaquer à la sacro-sainte bannière étoilée mais s’intéresse également à d’autres thèmes polémiques parmi lesquels les amours noires cachées du président Jefferson (DNA) ou l’omniprésence autour de nous d’un système de plus en plus étouffant (Prisoners of War).

Si « Blues Is My Wailin’ Wall » et « Red White and Blues » ont fait couler beaucoup d’encre en leur temps, que dira la critique de ce « Redneck Blues » (troisième tome de son Anthologie du Blues) ? Surtout avec un titre aussi provocateur. « Nous sommes tous des Rednecks et que nous avons tous le Blues. Nous sommes tous des cobayes de la démocratie. Le blues, c’est la colle qui permet de maintenir l’ensemble. » explique Mo. « Mais je ne me fais pas d’illusion, je sais que je serai attaqué des deux côtés de la barrière par tous ceux qui ne veulent pas comprendre. »

Pourtant ce n’est pas une vision sombre et fataliste du monde quil nous livre ; à l’inverse, il porte un regard optimiste sur ce qui pourrait changer si nous acceptions de regarder la réalité en face. Avec l’intuition poétique qu’il porte en lui, ce sentiment d’espérance visionnaire est sans doute l’héritage le plus précieux du blues et fait aujourd’hui de Maurice Rodgers l’un des plus grands poètes contemporains, pas moins.

DISCOGRAPHIE