Eric Bibb

Devenu l’un des grands musiciens de sa génération, Eric Bibb réinvente avec grâce blues, gospel et folk music. Il enchante et émeut les publics de tous les continents et son optimisme naturel et sa foi dans l’humanité se traduisent dans son écriture incomparable. Il détient tous les ingrédients de la réussite : aura et élégance naturelle, voix de velours de grand soulman, diction précise et claire, ainsi qu’une maîtrise instrumentale qui fait de lui l’égal des meilleurs guitaristes. “Vous définissez ce que devrait devenir le blues de ce nouveau siècle” l’a un jour complimenté Elwood Blues (en réalité le comédien Dan Aykroyd), moitié des Blues Brothers au cinéma, animateur de la célèbre émission “House of Blues Radio Hour.”

Get OnBoard
A la fin des années 60, un jeune musicien originaire de Harlem, Henry Saint Clair Fredericks qui deviendra connu sous le nom de scène Taj Mahal commença à divulguer sa conception d’un blues acoustique “contemporain”, dépoussiéré et modernisé. Une idée pas si évidente que cela “car alors– a écrit le critique Robert Christgau – la vaste majorité du public comme des musiciens noirs américains se détournaient du blues acoustique considéré comme daté, trop campagnard, arriéré, limite oncle-tomiste”. Et si le public blanc découvrait le blues par l’entremise de musiciens britanniques, genre Eric Clapton, c’était presque exclusivement sous sa forme électrifiée et amplifiée. Longtemps considéré comme un sympathique excentrique, Taj Mahal est resté l’être à part de la scène américaine et ce jusque dans les années 90 où l’on a découvert qu’il avait finalement fait école et que sur ses traces marchaient des gens aussi talentueux que Keb’ Mo’ (au récent virage pop remarqué), Guy Davis (dans une veine plus contestataire et militante), Corey Harris (aujourd’hui sous influence rastafarienne et reggae) et bien sûr Eric Bibb (dans l’esprit, celui des quatre qui est resté le plus proche de son mentor).

In My Father’s House
La réussite d’Eric Bibb n’a pas davantage jailli du jour au lendemain et passait, elle, par les chemins de l’exil. Il a déjà raconté sa jeunesse new-yorkaise, musicalement et humainement privilégiée, au contact de son père le chanteur Léon Bibb, de son oncle le pianiste John Lewis fondateur du Modern Jazz Quartet, de son parrain le chanteur Paul Robeson, et d’amis de la famille qui s’appelaient Odetta, Judy Collins, le révérend Gary Davis ou Bob Dylan.

The Promised Land
L’épouvantable chape de plomb qui s’est abattue sur les Etats-Unis après l’assassinat de Martin Luther King en 1968 incitait à aller voir ailleurs si l’herbe était plus verte. C’est ainsi qu’Eric, à l’aube de ses 20 ans, s’est retrouvé à vagabonder à la découverte de l’Europe en passant par Londres, Paris (où il joue dans le métro tandis que le guitariste Mickey Baker lui fait découvrir les disques de Robert Johnson) et finalement la Suède, terre promise de nombreux musiciens américains où il retrouve l’ambiance, la tolérance et l’esprit d’ouverture du Greenwich Village de son adolescence. Il y fonde famille, donne, suivez mon regard, “Taj” comme deuxième prénom à son fils Rennie Mirro né en 1972 (aujourd’hui musicien et comédien de renom qui vit à Stockholm. Quant à sa fille, Yana Bibb, elle est chanteuse folk à New-York).

Don’t Let Nobody Drag Your Spirit Down
Il répand la bonne parole du blues auprès du public suédois qui le découvre et l’adopte, enregistre un premier LP aux arrangements jazzy, “Ain’t It Grand” sur l’obscur label MNW, puis une série de six autres pour Opus 3 (certains albums à couverture blanche, sans photo, à l’austérité toute scandinave). Il chante parfois en solo, d’autres fois en compagnie d’expatriés américains comme le bluesman blanc Bert Deivert ou la chanteuse de gospel Cyndee Peters. Viennent aussi quelques années de vaches maigres où Eric devint prof pour nourrir les siens.

Spirit & The Blues
1994 marque un tournant dans sa carrière et un début de reconnaissance internationale grâce à l’enregistrement du remarquable “Spirit & the Blues” toujours pour Opus 3 qui sera ensuite édité aux USA chez Rhino. Accompagné d’un bon groupe (de musiciens en majorité scandinaves) appelé “Needed Time”, Eric y déroule magistralement son country blues mâtiné de gospel et de folk et change d’apparence : finis, barbe et cheveux “afro” : il fait preuve d’une grande élégance vestimentaire et arbore en permanence un couvre-chef (Fedora, Panama ou le Pork Pie Hat que les jazzmen affectionnaient) devenu sa “marque de fabrique”.

Diamond Days
1994/95, c’est la période où les “enfants” de Taj Mahal commencent à percer. Sony cherche un nouveau Robert Johnson et s’intéresse à Keb’ Mo’, Alligator Records à Corey Harris et Red House Records à Guy Davis. En 1996, le London Blues Festival invite Keb’, Corey et Eric à se produire. Pour ce dernier, le succès obtenu sur scène génère offres de tournées et nouvelles propositions d’enregistrement qui n’ont jamais cessé depuis. Sa discographie totalise à ce jour 35 albums publiés sur divers labels dans différents pays, scandinaves, britannique (Manhaton), allemand (Ruf), américains (Universal, Telarc et Rhino), français (Dixiefrog), et plus récemment Stony Plain (au Canada), sans compter une bonne trentaine de participation à des compilations diverses dont plusieurs pour le label alternatif et humanitaire Putumayo, qui favorise une belle rencontre entre Eric et son compère malien Habib Koité et donnera lieu à la publication fin 2012 de l’album “Brothers in Bamako”.

Sprit I Am
“Spirit I Am”, son 26ème opus, date de 2008 et beaucoup le considèrent alors comme son chef-d’oeuvre (notamment choisi par le magazine français Soul Bag parmi les 100 galettes essentielles de l’histoire du blues des origines à nos jours). Sorti aux USA sous un titre différent “Get Onboard”, il est enrichi pour l’Europe d’un CD supplémentaire de chansons traditionnelles dénommé “Field Recordings”. Déjà produit par Glen Scott, largement impliqué aussi comme sideman de luxe, ce disque bénéficie en outre de la présence de Bonnie Raitt à la guitare slide, de la vocaliste Ruthie Foster et du très classieux harmoniciste Grant Dermody qu’Eric devait réembaucher pour “Booker’s Guitar” et “Deeper in The Well”.

Troubadour
Rien de figé ni de définitif chez cet homme, véritable citoyen du monde qui dépasse sa seule condition de “noir américain”, qui a vécu dans plusieurs pays et réside actuellement en Finlande. Troubadour itinérant des temps modernes, il est à l’aise partout, que ce soit dans les bayous louisianais pour “Deeper in the Well” en compagnie de musiciens créoles, que dans un Mali sur le point de verser dans la guerre civile pour enregistrer dans des conditions précaires “Brothers in Bamako”.

Il n’a ni groupe ni producteur attitré mais dispose d’un véritable “réseau” multinational de contacts et de musiciens, réseau constitué au fil des années au gré des rencontres et des tournées, des gens avec lesquels il entretient une relation privilégiée, faisant appel à l’un ou l’autre en studio comme sur scène, en fonction des plateaux, des continents, et de l’emploi du temps de chacun. Riche, longue et éclectique, la liste de ses collaborateurs occasionnels constitue un vrai Who’s who du blues et des musiques cousines comprenant, outre les personnalités déjà mentionnées, Taj Mahal, bien sûr (sur trois albums d’Eric), Dave Bronze (cinq), le défunt Wilson Pickett, Pops and Mavis Staples, Hubert Sumlin, Rory Block, Maria Muldaur, Bonnie Raitt, Odetta, Willie Nelson, Ruthie Foster, Guy Davis, Mamadou Diabaté, Toumani Diabaté, Djelimady Tounkara, Charlie Musselwhite, Jools Holland, The Dixie Hummingbirds, Amar Sundy, Glen Scott, Staffan Astner, Chuck et Darick Campbell, Dirk Powell, Solo Cissokho, Cedric Watson, Larry Crockett, André de Lange, Jerry Douglas, Habik Koité (près de deux ans de tournées marathon avec ce dernier en 2012 et 2013).

Jericho Road
L’une de ses oeuvres les plus abouties, et musicalement plus aventureuse que les précédentes : “Avec mon ami Glenn Scott, nous avons décidé de laisser parler notre coeur et, sans trop dévier pour autant de ce que je fais habituellement, de combiner divers éléments de musiques qui nous sont chères, soul classique, gospel, sonorités “world” et d’utiliser le meilleur des possibilités techniques contemporaines”. Mais ce en s’inscrivant dans l’héritage des bluesmen qui l’ont précédé, car tous ces titres peuvent se jouer avec une six cordes et respectent les bases de l’écriture du blues.

Question texte, Eric en humaniste et commentateur social qu’il a toujours été, s’inspirant du fameux album “What’s Going On” de Marvin Gaye, livre là ses réflexions sur l’état du monde. Sans jamais prêcher ni asséner de vérités premières, il dévoile quelques pans du courant de pensée spirituelle qui l’inspire, puisant chez Tagore, Khalil Gibran, Mandela ou encore Alice Walker, auteur de “La Couleur Pourpre”. En totale cohérence avec lui-même, et c’est ce qui donne tant de force à son propos, il exprime un message d’empathie, d’indulgence et de tolérance et propose des pistes pour tenter d’appréhender notre monde si troublé et si cahotique, faisant ainsi entrer le blues dans le XXIe siècle.

Blues People
Ce nouvel album d’Eric Bibb est à la fois un hommage au plus célèbre discours du Dr Martin Luther King et un rappel de l’histoire du « peuple originel » du blues, ces Afro-Americains qui ont créé cette musique considérée aujourd’hui comme un trésor du patrimoine mondial. « Blues People » est un album volontairement dépouillé, habité par l’âme du blues. Les amis sont cependant nombreux à s’être déplacés pour apporter leur contribution personnelle ; ainsi retrouve-ton – entre autres – sur cet enregistrement The Blind Boys Of Alabama, Taj Mahal, J.J. Milteau, Popa Chubby, Ruthie Foster, Harrison Kennedy, Leyla McCalla, Glen Scott, Linda Tillery et Guy Davis.

« Blues People » est une œuvre d’art dans laquelle Eric confronte sa propre histoire aux grands chapitres de l’épopée afro-américaine, en prêtant une attention toute particulière à l’héritage du Mouvement pour les Droits civiques. Quand il célébrait encore, il y a peu, l’amour romantique qu’il porte au passé pittoresque de sa musique, Eric s’engage dorénavant sur un chemin plus militant, tout en insistant sur la force du message de résistance subliminal que véhiculaient les pionniers du blues. À l’entendre, «  il ne s’agit plus uniquement de rendre un hommage ému à mes héros, mais bien de prendre position. »

La mesure de tout créateur se lit à l’aune de sa capacité à éviter la paraphrase et la répétition. En signant une œuvre aussi novatrice, Eric Bibb nous offre la preuve qu’il n’a pas fini de grandir en tant qu’artiste.